PEKIN - (AFP) - Le barrage des Trois Gorges sur le fleuve Yangtsé, le plus grand ouvrage hydroélectrique du monde, a commencé mercredi à tourner à pleine capacité alors que la dernière de ses 32 turbines a été mise en service, a rapporté l'agence Chine nouvelle.
"Le fonctionnement à plein régime des générateurs fait du barrage des Trois Gorges le plus grand projet hydroélectrique du monde et la plus grande base (de production) d'énergie propre", a déclaré Zhang Cheng, directeur général de China Yangtsé Power Co., l'opérateur de la centrale, cité par l'agence officielle.
Les turbines du barrage ont une capacité électrique combinée de 22,5 millions de kilowatts (22.500 mégawatts), soit l'équilavent d'une quinzaine de réacteurs nucléaires récents.
Ce barrage a notamment provoqué de nombreux glissements de terrain près des rives du lac long de 600 km qui s'est formé en amont ainsi qu'une pénurie d'eau dans la plaine de Chine centrale, située en aval.
La construction de cet ouvrage pharaonique avait démarré en 1994 en dépit des mises en garde de nombreux experts chinois et étrangers. Il a nécessité le déplacement de 1,4 million de personnes, et a été critiqué par de nombreux experts chinois et étrangers. «Maintenant que le barrage fonctionne, les problèmes sont patents et ont atteint une telle ampleur que le gouvernement ne peut plus les ignorer», a déclaré à l'AFP Patricia Adams, qui dirige l'organisation Probe International basée au Canada, laquelle recense depuis de longues années toutes les difficultés des Trois Gorges. Aujourd'hui, les dirigeants chinois «cherchent à se protéger parce que le barrage est devenu un symbole de tout ce qui ne va pas dans les prises de décision politiques en Chine», selon elle.
La qualité de l’eau s’est dégradée
A Badong, le relief escarpé a toujours été propice aux glissements de terrain, mais selon la population locale, cela a clairement empiré. Les murs du principal lycée de la ville sont traversés par des craquelures qui s'agrandissent, tandis que le gouvernement local a ordonné le relogement de dizaines de milliers de personnes sur des terres plus sûres situées loin du fleuve, sur les hauteurs.
L'opérateur du barrage, qui a refusé de répondre aux questions de l'AFP, soulignait encore récemment les retombées positives du projet. A l'été 2011, il a permis de réduire la crue la plus grave que le Yangtsé ait connu en dix ans. Mais au printemps, suite à la pire sécheresse dans le centre de la Chine en plusieurs décennies, certains lacs naturels en aval des Trois Gorges étaient à sec. Il «peut écrêter les crues, mais les gens se rendent désormais compte que cela signifie moins d'eau dans ces lacs, et diminue beaucoup les ressources en eau de la région», selon Ma Jun, auteur du livre La crise de l'eau en Chine. Aussi les régions situées en aval envisagent-elles de construire leurs propres barrages, tandis que des dizaines d'autres ont été achevés ou sont en cours de réalisation sur le cours supérieur du fleuve et de ses affluents. «Les perturbations du système hydrologique du Yangtsé n'augurent rien de bon pour des millions de gens qui vivent de la pêche, de l'agriculture et du commerce», avertit Patricia Adams. Quant à la qualité de l'eau, elle s'est dégradée avec le ralentissement du débit du fleuve.
Certains géologues estiment même que l'énorme masse d'eau retenue par le barrage pourrait être à l'origine de mouvements tectoniques.
Mais le gouvernement chinois et les partisans du barrage soutiennent qu'outre la production d'électricité, ce barrage a permis de mieux réguler le cours du Yangtsé, la plus grande voie navigable en Chine reliant Chongqing dans le sud-ouest du pays à Shanghai, en passant par Wuhan (centre) et Nankin (est).
La première turbine des Trois Gorges avait été mise en service en juillet 2003. Le coût de l'ouvrage représente 22,5 milliards de dollars (17,9 milliards d'euros).
© AFP
Dans un article du Monde de l'an dernier, le géologue et militant écologiste basé à Chengdu, dans le Sichuan, Yang Yong, 51 ans, a répondu aux questions d'un journaliste et met en garde sur les liens de causalité entre les barrages et la pénurie d'eau. Courts extraits:
La sécheresse qui frappe le bassin du moyen et bas Yangzi a-t-elle un lien avec le barrage des Trois-Gorges ?
Yang Yong : L'alternance entre sécheresse et inondation dans la zone du fleuve Yangzi est normale. Même sans le barrage des Trois-Gorges, dans les conditions climatiques actuelles de températures élevées et d'absence de pluie dans le bassin du moyen et du bas Yangzi, la sécheresse aurait quand même eu lieu.
Mais, ces dernières années, on a constaté que le manque d'eau dans ces régions du Yangzi, ainsi que l'assèchement des lacs, était devenu un phénomène récurrent. Les projets hydroélectriques ont une grande responsabilité dans cette situation. Toute une série de centrales et de réservoirs construits le long des affluents du Yangzi, dans le Hubei et le Hunan, ne respectent pas les périodes d'étiage et de remplissage. Cela affecte l'alimentation des lacs en aval. J'ai constaté cette année que beaucoup de ces barrages avaient des niveaux très bas. Sauf celui des Trois-Gorges qui semblait bien rempli. En principe, les barrages doiventpouvoir remédier aux situations critiques.
Or, la gestion des ressources en eau entre les différents projets n'est pas coordonnée. Les opérateurs sont souvent en concurrence. Chacun veutmaximiser ses profits. En urgence, il a été décidé d'ouvrir plus grand les vannes du barrage des Trois-Gorges [le 20 mai], le débit est même passé ces derniers jours à 12 000 mètres cubes par seconde. Or, le niveau d'eau du barrage n'est pas loin de son seuil minimal [140 mètres], et on s'aperçoit que cela ne suffit pas à soulager les effets de la sécheresse !
La générosité du Yangzi semblait tellement inépuisable qu'on a construit les Trois-Gorges, et que deux canaux de diversion des eaux du sud au nord sont en chantier, le troisième étant à l'étude. La sécheresse actuelle indique-t-elle qu'on a atteint une limite?
En Chine, la priorité numéro un dans le développement des ressources fluviales est la production d'électricité. Or, cela se fait au détriment des autres fonctions des fleuves. En outre, il est impératif de s'interroger bien plus en avant sur le fait que les désastres naturels et climatiques sont de plus en plus fréquents. Il y a de grosses lacunes dans la planification des ressources fluviales et leur répartition. Il faut se réveiller.
Le très grand nombre de barrages sur le Yangzi et ses affluents, couplé aux projets de diversion des eaux du sud au nord, auxquels s'ajoutent les problèmes récurrents d'inondation et de sécheresse, vont exacerber les conflits autour des ressources en eau. La pénurie d'eau est structurelle. Bientôt, la guerre de l'eau le sera aussi ! Certaines des centrales en projet ne pourront pas être viables.
Pour aller plus loin, un article de la revue scientifique en ligne Vertigo ICI
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