Thursday, July 19, 2012

Sécheresse aux Etats-Unis : la nécessité de repenser l’agriculture



Les Etats-Unis subissent la pire sécheresse depuis 56 ans, a indiqué lundi l'agence météorologique américaine. 

Selon l'Agence océanique et atmosphérique nationale américaine, la NOAA, environ 55% du territoire continu des Etats-Unis ont été frappés en juin par la sécheresse. Ce chiffre s'appuie sur la définition donnée par l'index Palmer qui définit la sécheresse en fonction des critères basés sur la température et les précipitations.

Ce pourcentage est le plus fort observé dans le pays depuis 1956, année où la sécheresse s'était abattue sur 58% du territoire. Le mois de juin 2012 a été "le 14e mois le plus chaud et le 10e le plus sec" enregistré, selon le communiqué de la NOAA. 

"Les terres arables se sont desséchées et les récoltes et pâturages clôturés ou non se sont dégradés à un point rarement observé au cours des dix huit dernières années", selon la même source.

Journal historique de l'Indiana, le News Sentinel indiquait le 16 juillet que les services météorologiques de cet Etat prévoyaient le plus bas niveau de pluies d'été depuis cent quarante ans. L'absence de précipitations (l'Indiana n'a pas reçu la moitié de ses pluies moyennes sur les trois derniers mois) ajoutée à des chaleurs hors normes — mardi 17 juillet, il faisait 38ºC à Chicago (Illinois), 39ºC à Saint Louis (Missouri) — a transformé ces Etats en "fournaises", selon le terme d'Alex Prud'homme, auteur du livre The Ripple Effect sur les risques d'épuisement de l'eau douce.

Christopher Scott, un professeur en ressources naturelles à l’Université d’Arizona, ne croit pas au scénario de fin du monde liée à une pénurie d’eau, mais il explique qu’elle produit une nouvelle dynamique qui aura des conséquences directes sur la société, notamment du fait de la concurrence grandissante entre les besoins domestiques des citadins, et celui de l’agriculture. Alors, boire ou manger ?


Des récoltes catastrophiques

Dans la Corn Belt (région du Midwest), l’état des cultures de maïs et de soja dimanche s’était encore plus détérioré que ce que ne craignaient les traders de la bourse de Chicago (où se négocient les prix agricoles), et le Département Américain pour l’Agriculture (USDA) a dû réduire la cote du maïs comme cela ne s’était jamais vu depuis plus de dix ans.

« Nous passons d’une crise à un film d’horreur » a déclaré l’agronome Tony Vyn de l’Université de Purdue. « Je vois un nombre croissant de champs qui ne produiront aucune céréale cette année.
Les Etats-Unis exportent plus de la moitié des exportations mondiales de maïs, qui est ensuite transformé en multiples produits, depuis l’amidon à l’éthanol en passant par la nourriture pour bétail.

L’USDA a donné au maïs une note de "bon à excellent" à seulement 31 %, signifiant que seulement 31% de la récolte pourra être exploitée. Le soja a obtenu la note de 34% "bon à excellent", soit 6 points de moins que la semaine précédente. 

« Ils passent le maïs d’un état de « bon à excellent » à un état de « pauvre à très pauvre » chaque semaine, cela indique que c’est bien pire que ce qu’ils pensaient » a déclaré un agriculteur, Larry Winger.

Le soja et le maïs sont deux céréales exportées dans le monde entier, ce qui laisse craindre des pénuries alimentaires mondiales et une inflation sur ces produits.
L’impact sur les prix de la viande et de la nourriture aux Etats-Unis prendra du temps à se faire sentir mais devrait probablement avoir lieu dans les mois à venir.

La semaine dernière, le Secrétaire américain à l’agriculture, Tom Vilsack a décrété l’état de catastrophe naturelle du à la sécheresse dans plus de 1000 comtés à travers le pays.

 Des pertes colossales en 2011

Le Texas a connu la sécheresse la plus chère de son histoire en 2011, et probablement la plus coûteuse qu’aucun Etat n’a jamais connue auparavant.

"Personne de son vivant n’avait connu de tels dégâts dus à la sécheresse d'une seule année», a déclaré Travis Miller, économiste agricole à la Texas A & M University.

«Les agriculteurs et les éleveurs du Texas ne sont pas étrangers à la sécheresse, mais l'intensité de la sécheresse illustrée par des records de chaleur, de faibles précipitations, de vents sans précédent et d’une durée extrêmement longue, tout a joué dans la destruction de la production agricole», a t-il ajouté.

Les nouveaux chiffres publiés début mars par l'Université vont au-delà des estimations de 5,2 milliards de dollars de pertes publiées l'automne dernier, qui ne comptait que les pertes enregistrées jusqu'à la fin août.

Les plus touchés sont les éleveurs de bétail de l'État, suivie par les producteurs de coton. Le Texas est de loin le plus grand producteur de ces deux produits aux États-Unis, produisant environ 15% des bovins de boucherie et 25% du coton de la nation, selon le Ministère américain de l'Agriculture. Les pertes des producteurs de bétail s'élèvent à 3,23 milliards de dollars, et celle des producteurs de coton à 2,2 milliards de dollars.

"Les conséquences de ces pertes sur les familles agricoles du Texas est énorme", a conclu Hall Gene de l’Agence gouvernementale pour les fermes du Texas.

Même les fermes irriguées ont perdu d’énormes quantités de récoltes, l’eau fournie ne suffisant pas à renverser la tendance provoquée par l’absence de précipitations. « La sécheresse avait débuté à l’automne 2010, si bien que beaucoup de pâturages n’ont pas verdi après l’hiver » explique Miller.


Des cultures trop gourmandes en eau

Au Nebraska, où la plupart des agriculteurs irriguent leur maïs, le flux des cours d’eau et des fleuves a tellement diminué que l’Etat a demandé à 1 100 agriculteurs de l’Etat d’arrêter de pomper l’eau dans les cours d’eau et d’utiliser des puits à la place.

Le 29 mai 2012, une nouvelle étude américaine utilisant les données du projet Grace (Gravity recovery and climate experiment) publiée dans une revue de l'Académie des Sciences Américaine alerte sur l'importance de pratiques d'irrigation durables des cultures aux Etats-Unis dans les hautes plaines et dans la Vallée centrale californienne, deux des principales régions agricoles nord-américaines.

Le risque est de voir la sécurité alimentaire du pays gravement remise en cause, menacée par l'épuisement des réserves d'eaux souterraines.

L'étude donne une image temporelle et spatiale très précise de l'épuisement des eaux souterraines dans ces deux régions américaines qui ont produit ensemble pour près de 56 milliards de dollars de denrées agricoles en 2007 - soit une grande partie de la production alimentaire des Etats-Unis. Elles sont également responsables pour moitié de la diminution du niveau des eaux souterraines aux États-Unis, principalement à cause de l'irrigation des cultures, indiquent les chercheurs.

 « Des phases de sécheresses répétées et une urbanisation croissante dans ces zones ne peuvent qu'aggraver l'état des nappes phréatiques », alertent les chercheurs.

Selon cette étude, lors de la vague récente de sécheresse qui a touché la Central Valley en Californie entre 2006 et 2009, les agriculteurs du sud auraient appauvri les eaux souterraines du volume nécessaire pour remplir le plus grand réservoir artificiel des USA, le lac Mead près de Las Vegas. Le niveau de prélèvement a donc été supérieur aux taux de recharge actuels des nappes.

Autre constat : dans les hautes plaines, un tiers de l'épuisement des eaux souterraines se produit dans seulement 4% de la superficie de cette région.

Et si les tendances actuelles se poursuivent, les chercheurs craignent également que dans certaines  zones du sud des hautes plaines, comme dans le nord du Texas (région du Panhandle) ou dans l'ouest du Kansas, tout recourt à l'irrigation des cultures devienne tout simplement impossible d'ici quelques décennies.

Les chercheurs avancent quelques propositions pour rendre plus durables les pratiques d'irrigation sur les cultures dans ces zones, comme remplacer les systèmes d'irrigation par submersion (utilisés sur environ la moitié des cultures) par des systèmes d'irrigation par aspersion et de goutte à goutte plus efficaces, tout en  développant la pratique des retenues collinaires ("groundwater banking").


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