Thursday, June 28, 2012

Coca-cola en Inde: "l'eau côté coca-cola"





Le groupe américain Coca-Cola et ses embouteilleurs locaux ont annoncé mardi qu'ils comptaient investir 5 milliards de dollars en Inde d'ici 2020, soit 3 milliards de plus que prévu initialement, pour développer leur présence dans les boissons sans alcool. L'accroissement des investissements du groupe doit lui permettre de doubler ses ventes dans ce pays d'ici la fin de la décennie, a expliqué son PDG Muhtar Kent, cité dans un communiqué diffusé par l'entreprise.
Coca-Cola a longtemps été banni d'Inde et son retour dans le pays en 1993 avait symbolisé aux yeux des investisseurs l'ouverture à l'international d'une économie longtemps corsetée dans un nationalisme rigide.
« Un potentiel de croissance énorme »
L'investissement annoncé mardi est considérable aux sommes investies par le groupe au cours des 19 dernières années qui ne dépassent pas 2 milliards. Mais l'Inde est déjà l'un des dix plus gros marchés en volume de Coca-Cola et le pays est jugé "stratégique" aux yeux de ses dirigeants. Le groupe y emploie plus de 25 000 personnes directement.
Les boissons sans alcool prêtes à boire présentent "un potentiel de croissance énorme" en Inde, a relevé le groupe. Au cours de 17 des 23 derniers trimestres, ses marques ont enregistré une croissance "à deux chiffres" de leurs ventes, a-t-il fait remarquer.
La récente dégradation de la note de l’Inde par l’agence de notation Standard and Poor’s et la chute vertigineuse de la roupie face au dollar devrait en faire une bonne nouvelle pour l’économie indienne. En principe. Or, il  ne s’agit pas que d’économie.
Eau versus Coca-cola
Cette annonce a eu une résonnance toute particulière en Inde où Coca-Cola est fortement contesté, en raison de sa trop grande consommation d’eau. Ses implantations dans le Rajasthan, zone semi-aride et  l’une des plus sèches du pays, sont remises en cause par les ONG environnementales et les habitants autour. Or Coca-Cola, qui se définit elle-même comme « hydration company », a besoin de 3,26 litres d’eau pour produire 1 litre de soda (2,26 l en moyenne dans le monde soit 294,5 milliards de litres d’eau utilisés en 2010. Voir l'eau de Coca-cola).  En Inde pourtant, « près de 20% de la population n’a pas accès régulièrement à l’eau potable et 80% de la population rurale s’approvisionne en eau potable via des réserves souterraines », selon la dernière étude de WaterAid.
Alors que l’eau se fait de plus en plus rare dans le sous-continent, la consommation de sodas augmente d’environ 20% chaque année. Ils sont produits localement par les grandes multinationales du secteur, Coca-Cola en tête avec 57 usines réparties dans le pays. Mais depuis leur implantation et surtout depuis 2002, ONG et citoyens se sont regroupés pour protester contre l’accaparement des ressources en eau potable par Coca-cola.
"En raison de leurs procédés de fabrication, ces boissons gazeuses présentent des risques. D’abord, parce que le pompage des nappes pratiqué par leurs usines dépouille les pauvres du droit à se fournir en eau potable. Ensuite, parce que ces usines rejettent des déchets toxiques qui menacent l’environnement et la santé (…)» écrit Vandana Shiva dans un article du Monde diplomatique en 2005.

Sur son site internet, Coca-cola Inde annonce une réduction de 25% l’utilisation d’eau potable dans la fabrication de ses boissons entre 2004 et 2009, déclare recycler les eaux polluées et que le potentiel de leur système de récupération d’eau de pluie peut se  substituer à hauteur de 93% à l’eau issue des nappes phréatiques.
Eau virtuelle et empreinte écologique
Dans son premier rapport numérique publié au début de cette année, Coca-cola annonce des mesures drastiques pour réduire l’utilisation faite en eau dans la production de ses boissons. Le rapport avance que de « solides progrès » ont été réalisés pour atteindre des taux d’efficacité hydriques meilleurs en comparaison avec 2004. Coca-cola espère donc devenir « water neutral » en 2020. En mars 2009 déjà, lors d’un sommet de la Confédération de l’industrie Indienne, le directeur qualité et environnement indien de Coca, Navneet Mehta, affirmait que l’objectif du groupe était de reconstituer les eaux souterraines utilisées par l’entreprise dans le pays à la fin 2009 et de devenir « neutre en eau », autant pour les produits que pour les processus, en 2012. « Remplacer chaque goutte d’eau utilisée dans nos boissons et dans leur production », c’est le but que s’est fixé la firme dès 2007 pour l’ensemble du monde.
Or, comme l’explique Will Sarni sur le blog du Harvard Business Review, le concept « neutre en eau » est non seulement impossible à atteindre mais ce greenwashing peut porter préjudice à la marque. Sarni montre comment le processus de compensation carbone ne peut s’appliquer à l’eau : « Pourquoi ? Parce que derrière ce cadre de compensation hydrique, la production peut prélever de l’eau dans un bassin et en reconstituer un autre. Or, ce ne peut vraisemblablement pas être neutre pour le bassin exploité, d’autant plus au regard de la population qui vit autour de ce bassin (…) Si une entreprise prétend être « neutre en eau », les consommateurs s’attendent à voir le gallon d’eau prélevée rendue à la source dont il provient. Or, c’est très peu probable. »
Dans le camp associatif, les annonces de Coca Cola sont de vaines paroles. Un livre blanc de 2007 sur le concept de « neutralité en eau », auquel ont pris part Coca-Cola, le WWF et le World Business Council on Sustainable Developpement notamment, a montré de réelles limites sémantiques. Alors que Coca-Cola affirme qu'elle aura reconstitué les eaux souterraines utilisées par la compagnie en Inde à la fin de l'année et qu'elle sera globalement « neutre en eau » en 2012 dans le pays, l'India Resource Center (IRC) parle d' « escroquerie ».
« Il est impossible pour Coca-Cola de tenir cet engagement et ses documents même le prouvent. Il s’agit d’une opération de communication », s’indigne Amit Srivastava, le coordinateur de l'IRC. Basée à San Francisco, l’organisation est aujourd’hui presque exclusivement centrée sur le cas Coca. Depuis le retour de l’entreprise sur le sol indien il y a 16 ans, les deux camps se livrent donc une farouche bataille à coups de jugements, d’études et d’informations interposées. Mais c’est depuis le début des années 2000 que les choses se sont accélérées, avec l’ouverture de l’usine de Plachimada.

La lutte de Plachimada
Plachimada est un petit hameau du district de Palakkad, plus connu comme “le bol de riz du Kerala”. La population est en majeure partie constituée d’adivasis (indigènes) et l’occupation principale reste l’agriculture. Environ 80% des villageois réalisent des travaux agricoles, les 20% restants réalisant des travaux divers.
En 1998, HCCBPL (Hindustan Coca Cola Beverages Private Limited) a acheté 34.4 acres de terrain (en majeure partie des rizières) pour installer une unité d’embouteillage à Plachimada. Le 25 janvier 2000, le Panchayat de Perumatty (une instance locale de pouvoir qui gouverne la circonscription dont fait partie Plachimada, sorte de conseil de village) a donné son accord pour le début des travaux de construction, qui ont commencé en mars 2000. Le comité de contrôle de la pollution de l’État du Kérala (Kerala State Pollution Control Board, KSPCB) a fourni à la société un permis qui lui permettait de produire 561.000 litres de boisson par jour, 3.8 litres d’eau étant nécessaire alors pour produire un litre de boisson. L’eau provient principalement des nappes phréatiques via six puits forés et de deux étangs ouverts. Environ 2 millions de litres d’eau sont extraits chaque jour.
Dans les six mois qui ont suivi le début des opérations de l’usine, les villageois constatent une réelle dégradation de la qualité de l’eau, devenue impropre à la consommation. Peu après, plusieurs habitant se plaignent de maux d’estomac tandis que les agriculteurs déplorent la vitesse inhabituelle à laquelle les puits se vident et la diminution des récoltes. Corpwatch India, un groupe d’intérêt public, découvrent des niveaux élevés de calcium et de magnésium dans l’eau, en raison de son extraction excessive.
De nombreuses manifestations et des mouvements de sit-in s’organisent autour du Coca Cola Virudha Janakeeya Samara Samithy (Comité de lutte populaire contre Coca-Cola) et se multiplient durant toute l’année 2002, portés par les femmes adivasi et C.K.Janu, fervante militante pour  les droits des populations indigènes. Les heurts avec les forces de l’ordre et les arrestations ne viennent pas à bout du siège installé en continu à l’extérieur de l’usine à partir du 4 août 2002 et qui prend de l’ampleur en 2003, alors que des rapports accablent la branche indienne de Coca-cola.
Le 25 juillet 2003, le programme de radio « Face the Facts » (Regardez la vérité en face) diffusé sur la BBC 4 alerte la population de la présence d’agents cancérigènes dans les déchets déposés par l’usine. Ces déchets avaient été déversés sur les terres voisines sous prétexte de fournir un fertilisant aux agriculteurs. Le 5 août 2003, le Centre pour la Science et l’Environnement (CSE), basé à Delhi, publiait un rapport listant 12 boissons non alcoolisées démontrant des taux de pesticides 30 fois supérieurs aux normes européennes dans les bouteilles de Coca et Pepsi, entraînant le retrait immédiat des sodas dans les écoles, hôpitaux voire les administrations de cinq états fédérés. L’état du Kerala interdit même la production et la vente sur tout son territoire. Interdiction levée quelques années plus tard.

Bataille judiciaire

A partir d’avril 2003, le Panchayat (conseil local) de Perumatty ne renouvelle pas la licence d’HCCBPL. Le secrétaire général du Panchayat annule la licence pour les raisons suivantes : « exploitation excessive des nappes phréatiques par la société, problèmes environnementaux liés à la présence de substances toxiques et dangereuses dans les déchets produits par l’entreprise et pénurie d’eau potable ». Mais la société n’aura de cesse de multiplier les recours auprès des autorités locales et de la Haute Cour du Kerala et obtient systématiquement une nouvelle licence.
Le 23 janvier 2004, en plein déroulement de ces batailles judiciaires, une conférence mondiale de l’eau fut organisée à Pudussery, non loin de Plachimada. La déclaration dePlachimada fut adoptée le troisième jour de la conférence et revendiquait des points importants : “Il est de notre devoir fondamental de prévenir la pénurie et la pollution de l’eau ainsi que de la préserver pour les générations à venir. […] L’eau n’est pas une marchandise. Nous devons résister à toute tentative de marchandage, privatisation ou semi-privatisation de l’eau. C’est seulement de cette façon que nous pourrons assurer le droit fondamental et inaliénable de l’accès à l’eau pour tous les habitants de cette planète”.
Le 21 février 2004, l’état de sécheresse sur le district de Palakkad est déclaré et le gouvernement ordonne immédiatement la restriction de l’utilisation de l’eau par l’entreprise. Le 9 mars 2004, l’entreprise stoppe son activité. Le 15 janvier 2005, millième jour de siège, les manifestants veulent interdire la reprise de l’activité.
Jusqu’au 19 aout 2005, la Haute Cour du Kerala et le Panchayat vont alors s’opposer sur l’accord de la licence, opposant rapports, expertises et chiffres différents. La Haute Cour statue la plupart du temps en faveur de l’entreprise, lui demandant seulement de réduire sa consommation d’eau.
En juin 2005, Coca-cola remet les machines en marche mais pour quelques semaines seulement. Le 19 août 2005, le KSPCB rejette la demande en cours depuis le 20 septembre 2004 : « le comité a examiné la boue générée par l’entreprise et il s’avère qu’elle contient 200 à 300 mg de cadmium par kilo de boue, ce qui est 400 à 600% supérieur à la limite autorisée ». Le KSPCB ordonne à l’entreprise de stopper immédiatement sa production.
En novembre 2005, la Haute Cour statue de nouveau en faveur de Coca et ordonne la délivrance d’une licence Mais de nouvelles règles établies par la loi sur les nappes phréatiques du Kerala (contrôle et règlementation) viennent d’entrer en vigueur et, le 19 novembre 2005, le département des ressources en eau classe Plachimada dans la catégorie « surexploitée », empêchant toute extraction supplémentaire à des fins commerciales. Depuis, l’usine est à l’arrêt.
Indemnisations et investissements
Le 30 juin 2010, une agence juridique spéciale devant « évaluer la juste indemnisation due à chaque requérant et donner des directives à l’entreprise pour qu’elle s’y conforme » est créée par le premier ministre du Kérala, V.S. Achuthanandan. Le 16 février 2011, le cabinet d’état approuve l’ébauche d’un projet de loi, adopté peu après par l’assemblée législative : un tribunal est mis en place et doit assurer l’indemnisation et les réparations pour les dommages environnementaux causés par l’entreprise à Plachimada. La loi a été établie sur la base des recommandations d’un comité de haut niveau mis en place pour étudier le problème et qui avait estimé la perte subie par les habitants de Plachimada à 21,6millions de roupies (310 000euros), en raison de la pollution et de la pénurie d’eau causée par l’activité de l’usine.
De son côté, la multinationale américaine réfute les accusations et a pris plusieurs mesures afin de redorer son image. D’abord par la mise en ligne du site «Coke facts: the truth about the Coca-Cola company around the world ». En 2007, elle met en place un fonds de 10 millions de dollars exclusivement dédié à la gestion de l’eau en Inde en partenariat avec la WWF. Plus récemment, ce sont 3,5 millions de dollars qui ont été injectés dans des projets pour l’accès à l’eau potable en Afrique, en partenariat avec le United States Water Partnership.
Coca-Cola s’appuie sur des tests pour prouver qu’elle n’est pas responsable de la baisse du niveau d’eau en Inde, réduit la quantité d’eau nécessaire à la production de sa boisson (-16% entre 2004 et 2009), et lance des produits à bas prix destinés à la population rurale. Le dernier rapport de développement durable de Coca-Cola se veut rassurant et plein de bonne volonté. Les progrès environnementaux que Coca-Cola met en avant sont insuffisants pour les ONG et les militants qui dénoncent dans d’autres régions du sous-continent et notamment dans le Rajasthan, des situations identiques à Plachimada. 

Des tensions dans le Rajasthan

Dans un article du Monde du 5 mars 2011, Julien Bouisson revient sur les tensions croissantes liées à l'utilisation de l'eau dans la région du Rajasthan. Une étude financée par Coca, et réalisée par le TERI (The Energy and Resources Institute) indique que l'usine de Kaladera est un facteur direct de "la détérioration de la situation de l'eau, et des tensions avec les communautés avoisinantes". Lorsque les températures en plein été peuvent atteindre 50°C, la tension entre l'entreprise et les agriculteurs est à son comble. Coca-Cola doit augmenter sa production pour répondre à la demande et les agriculteurs ont besoin d'arroser leurs champs.

Les manifestations se multipliant, la police a interdit aux opposants de l'usine de s'en approcher dans un rayon de deux kilomètres. "L'eau est un bien commun et les agriculteurs perçoivent mal le fait qu'une usine s'approprie autant d'eau surtout en période de sécheresse", regrette Amit Srivastava


L'absence de cadre juridique clair, dans certains Etats, alimente les tensions. Alors que la législation en matière d'exploitation des nappes phréatiques dépend des Etats, seuls 9 sur 28 ont voté une loi, récemment. " Il est parfois difficile de remettre en cause des accords signés il y a dix ans quand la loi sur les nappes phréatiques n'était pas encore en application pas ou quand les préoccupations sur l'eau n'existaient pas ", souligne Sujit Koonan, chercheur à l'université Jawaharlal Nehru de Delhi.

L'institut TERI dirigé par Rajendra Pachauri, également président du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) ne voit pas vraiment comment la situation pourrait s'améliorer et recommande la fermeture de l'usine ou sa délocalisation. Coca-Cola persévère et tient pour preuve de bonne volonté, la mise en place de systèmes de récupération d'eau de pluie qui peuvent "potentiellement" alimenter les nappes


Or, les précipitations dans cette région proche du désert du Thar, sont faibles et irrégulières et TERI a réfuté une telle solution. "Les chiffres fournis par le bureau de l'eau de l'Etat du Rajasthan sont éloquents : au niveau du district, les nappes phréatiques ont reculé de trois mètres dans la décennie qui a précédé l'ouverture de l'usine, et de 22 mètres, au cours de la décennie suivante. "


Des tensions qui, au vu des investissements annoncés, ne vont certainement pas décroître. 

Cheers! 



Source: AFP/LeMonde/India Resource Center/Novethic/Harvard Business Review


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